Le nouvel avenir de la famille française
L'allongement de la cohabitation parents-enfants ne résulte pas que de la difficulté des jeunes à trouver du travail.
Au Crédoc, nous observons aussi une tendance très lourde de la société à se réorganiser autour des rapports familiaux. Elle fait suite à une longue période de contestation de la famille comme cellule sociale de base, puis d’individualisme dans la décennie 80. Jusqu’à ce que l'on s'aperçoive à quel point l’individu isolé est fragile face aux difficultés - professionnelles, affectives ou de santé - de la vie. On revient ainsi à une recherche de socialisation, de solidarité, au sein d’un groupe. En l'occurrence, c’est la famille, avec des rapports de solidarité qui peuvent inclure, au-delà du noyau parents- enfants, les grands-parents, les frères et sœurs, voire les oncles et tantes. Ce retour à la famille n’a lieu gue parce qu'elle est moins contraignante qu'autrefois, plus respectueuse de l'autonomie de chacun. C’est frappant dans le domaine de l’alimentation : à côté des repas familiaux, chacun se nourrit aussi à sa façon. Voyez le succès des plats individuels ou, pour les jeunes, des fast-foods.
À cette tendance structurelle s’ajoute l’effet conjoncturel, particulièrement marqué en France, du chômage des jeunes. Bien souvent ils n'ont d'autre solution économique que de rester, chez leurs parents. Les satisfactions affectives les disputent alors à la frustration de ne pas être indépendant. J’y vois la principale explication de leurs violentes réactions contre le contrat d'insertion professionnelle (CIP), trop mal rémunéré pour permettre de vivre sans l'aide des parents, ou sans renoncer aux standards de consommation et de confort auxquels ils ont été habitués.
En effet, pour les jeunes adultes, la société de consommation fait partie de leur vie, y compris pour y trouver une identité, du sens, des valeurs. D'ailleurs, leurs budgets consommation sont conséquents sur certains postes : les repas hors-foyer, l'habillement, les loisirs... car ils ont des moyens, procurés notamment par les parents. Ceux-ci ont un discours du type : « Tu dois réussir tes études, ton insertion professionnelle, donc nous te donnons assez d’argent pour que tu n'aies pas de soucis sur ce plan. » À voir leur appétit de consommation aujourd'hui, je ressens quelques inquiétudes sur la capacité des jeunes à arbitrer: plus tard entre consommation et épargné. Ce qui n'est cependant pas un signe d'irresponsabilité de leur part, mais plutôt une réaction à l'absence de perspectives : pourquoi se priver aujourd’hui en vue d'un futur totalement incertain ? Il faut aussi tenir compte qu’en moyenne ils bénéficieront de la part de leurs parents de transferts de patrimoine plus importants qu'aujourd'hui, à la fois parce que, globalement, la richesse des Français s'accroît, et que le nombre d'enfants à qui transmettre diminue.
Quant aux parents, la présence persistante des enfants à la maison procure un bénéfice affectif considérable. Elle dynamise ce groupe familial auquel, eux aussi, sont attachés. Quitte à se montrer très - trop, estiment certains - tolérants pour préserver la cohabitation. Ainsi, dans une enquête récente du
Crédoc, les parents déclaraient à la fois être opposes à la vie en couple de jeunes ne disposant pas de ressources régulières, mais accepter sous leur toit le conjoint de leur enfant, si le jeune couple n'avait pas les moyens de s'installer.
Les privations que s’imposent les parents pour leurs grands enfants sont assez bien vécues, dans la mesure où elles ne les obligent pas à rogner sur l’essentiel. Et pourtant les transferts sont importants : nos enquêtes montrent qu’un ménage de retraités sur trois aide ses enfants ou petits-enfants, et y consacre alors - hors héritage et donations - l’équivalent d’un mois de pension par an. Tout cela induit chez les parents concernés une consommation très « au service » de leurs enfants. Par exemple, ils garderont une seconde voiture; dont ils pourraient se passer, pour l’usage de ces derniers. Ils vont aussi gérer leur patrimoine suivant cette nouvelle donne : investissement dans un logement destiné aux enfants ; transmission anticipée d’une partie de leurs biens, etc. Toutes ces solidarités familiales sont, évidemment, très positives. Mais elles sont aussi malheureusement porteuses d’inégalités, car tributaires des ressources et du patrimoine des parents, très inégalement répartis dans la société française. Elles dépendent aussi de leur bon vouloir. Or, c’est lorsque la solidarité familiale défaille ou fait défaut que, les risques de précarité ou d’exclusion deviennent majeurs. »
Propos recueillis par Bernard Genès 50 Millions de Consommateurs.
Comprendre
Avec l'aide du texte, retrouvez les mots ou groupes de mots qui ont disparu des phrases suivantes.
L’allongement de la cohabitation parents-enfants n'est pas dû au seul fait du chômage, il correspond plutôt à une recherche de ______ , de ______ au sein de la famille.
C'est une nouvelle tendance qui fait suite à la ______ de la famille des années soixante et à l'______ des années 80.
La famille respecte plus l'autonomie de chacun jusque que dans ______.
Cette cohabitation, source de ______ , est souvent la seule solution pour faire face à une situation financière précaire.
Du fait de cette cohabitation les jeunes sont habitués à un certain confort matériel. Etre autonome les forcerait à renoncer à un certain standard de ______.
La société de consommation est pour les jeunes un modèle de société, d'______ qu'ils ne remettent pas en cause.
Les parents soucieux pour l'avenir de leurs enfants veulent les préserver des ______ financiers pendant leur formation afin qu'ils se préparent le mieux possible pour leur ______ sociale et ______.
Les parents ont un meilleur niveau de vie, les familles sont moins nombreuses, les enfants percevront un ______ économique plus important.
Parents et grands-parents aident financièrement les jeunes. Leur consommation est ______ de leurs enfants.
Cette nouvelle tendance présente des aspects intéressants, elle marque plus de solidarité entre les générations mais elle est source d' ______ au sein d'une même génération.
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Choisissez les cinq informations que vous allez retenir pour votre compte rendu.
- La société de consommation est un modèle de société, d'identité que les jeunes ne remettent pas en cause.
- Parents et grands-parents aident financièrement les jeunes.
- Les jeunes dépensent beaucoup pour les loisirs et l'habillement, leurs parents leur donnant les moyens de le faire.
- Le succès de la restauration rapide auprès des jeunes correspond bien à cette individualisation forcenée de la consommation.
- La cohabitation prolongée parents-enfants relève de raisons conjoncturelles comme le chômage, mais elle est aussi liée à une nouvelle conception de la famille.
- Les jeunes sont parfois frustrés d'être privés de leur indépendance financière.
- Du fait de cette cohabitation, les jeunes sont habitués à un certain confort matériel. Etre autonome ne leur garantirait plus ce même niveau de vie.
- Les parents sont plus tolérants qu'autrefois. Ils hébergent souvent le conjoint de leur enfant sous leur toit.
- Un tiers des retraités aide ses enfants ou petits-enfants.
- Cette nouvelle tendance présente des aspects intéressants. Elle marque plus de solidarité entre les générations mais elle est source d'inégalités au sein d'une même génération, puisque liée à la situation des parents.